La suspicion du SCRS

posted on November 11, 2009 | in Category War on Terror | PermaLink

par Pierre Jury, opinion
Source: Le Droit
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Date: 30 octobre 2009


Les Canadiens sous-estiment la menace terroriste et la faute repose sur les épaules d'« organisations non gouvernementales, de journalistes militants et d'avocats ». Combinée, leur action aurait fait de ceux qui sont accusés d'actes de terrorisme des « quasi-héros » qui sont représentés sous un angle positif, photographiés avec leurs enfants et, grosso modo, crus sur parole.

Ces paroles sont lourdes de sens et illustrent bien la perception qui prévaut, du moins dans les plus hauts échelons du Service canadien du renseignement de sécurité, notre agence d'espionnage. Ces mots sont ceux qu'a prononcés le nouveau patron du SCRS, Richard Fadden, à l'occasion de sa première sortie publique depuis sa nomination en juin dernier.

M. Fadden considère les « leaders d'opinion » avec incrédulité, parce que ces derniers ne semblent pas comprendre que « les efforts de lutte contre le terrorisme contribuent à miner la démocratie et nos valeurs plutôt qu'à les défendre ». Car, poursuit-il, « le terrorisme constitue en fait l'atteinte ultime à la liberté. »Si les leaders d'opinion et bien des Canadiens sont sceptiques, c'est en bonne partie parce qu'ils n'affichent pas une confiance aveugle envers les nombreuses organisations impliquées dans certaines enquêtes policières, ou de sécurité. Le cafouillage du dossier de Maher Arar par la Gendarmerie royale du Canada, pour parler du cas le plus évident des dernières années, a coûté 11,5 millions $ aux contribuables canadiens (10,5 millions $ en compensation et un million de dollars en frais juridiques), sans compter les coûts associés par la commission d'enquête présidée par le juge Dennis O'Connor, qui a remis son rapport en septembre 2006. Dans ce dossier, la GRC a dû reconnaître et s'excuser d'avoir fourni des renseignements non vérifiés aux Américains qui ont détenu M. Arar avant de le déporter en Syrie où il a été emprisonné et torturé.

Dans le dossier d'Adil Charkaoui, le SCRS a préféré mettre fin aux procédures juridiques plutôt que de livrer certaines informations qui, croit le SCRS, pourrait mettre en danger certains de ses agents ou opérations sur le terrain. Cela contre l'avis de la juge Danièle Tremblay-Lamer, qui a vu les renseigne­­ments en question et qui a es­­ti­­mé, à l'opposé du SCRS, qu'il n'y avait pas à s'inquiéter outre mesure. M. Charkaoui poursuivra assurément le gouvernement pour ses années d'emprisonnement au risque de coûter en­­core des millions aux contribuables.

D'autres gens ciblés par les certificats de sécurité, tels Abdoulah Almaki, Ahmad Abouz-Elmaati et Muayyed Noureddine ont sans doute fait l'objet de questionnements du SCRS, Au lieu d'être blanchis ou accusés, le Canada s'est retrouvé dans la fâcheuse position de leur livrer des excuses publiques, en juin dernier.

Depuis le 11 septembre 2001, les agences d'espionnage sont sur le qui-vive, et avec raison. Les menaces d'attaques terroristes se sont matérialisées aux États-Unis ce jour-là, et dans plusieurs autres pays de l'Occident par la suite, comme en Angleterre et en Espagne. Au Canada, un complot impliquant un groupe appelé « Toronto 18 » a été déjoué et les condamnations ont débuté, démontrant que le Canada n'est pas à l'abri de magouilles d'Islamistes se réclamant plus ou moins vaguement d'Al-Qaïda.

Le travail des agences, comme le Service canadien du renseignement de sécurité, s'est considérablement compliqué. Une partie des défis supplémentaires sont justement dus aux cafouillages de certains dossiers par le SCRS - l'enquête sur l'explosion du vol d'Air India, en 1985, qui est toujours devant les tribunaux - la GRC et d'autres. Si le travail avait été bien fait, les Canadiens auraient davantage confiance lorsque le SCRS parle. Cette méfiance n'est pas facilitée par le réflexe de tout cacher derrière l'opaque rideau de « la sécurité nationale ». Personne ne sait ce qui se dissimule derrière cet impératif : du solide ou du mou, seule la direction du SCRS le sait. Mais quand elle demande une profession de foi aveugle pour son SCRS, elle doit s'attendre à ce que certains « leaders d'opinion » examinent sa fiche au bâton avant de lui donner une absolution immédiate et entière. Bref, le SCRS a récolté la suspicion qu'il a semée.

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