Les cas de Youssef Mouammar et de Mubin Shaikh
Par Alexandre Popovic
MONTRÉAL, 1er septembre 2007. Ici comme ailleurs, la paranoïa collective du grand public est garante de l'épanouissement des services secrets. Plus la population devient craintive et peureuse, plus elle ressentira le besoin d'être protégée contre les diverses menaces, réelles ou fictives, qui planent sur sa sécurité. Et parmi ces organismes publics qui sont mandatés pour jouer ce rôle de protecteur, l'on retrouve les obscurs et énigmatiques, mais ô combien influents et puissants services secrets, dont la raison d'être consiste justement à identifier ces menaces qui pèsent contre la sécurité nationale.
Plus la peur se répand parmi le grand public, moins les autorités gouvernementales se montrent hésitantes à donner carte blanche aux services secrets. Après tout, rien de mieux qu'une populace effrayée pour que les services secrets deviennent les enfants gâtés de l'État, de véritables chouchoux à qui l'on ne peut rien refuser. Les services secrets ont donc tout intérêt à veiller à ce que le climat de peur ne cesse jamais d'être alimenté.Il va sans dire qu'il existe de nombreuses régions dans le monde où l'insécurité et le niveau d'activité terroriste sont telles que la tâche des services secrets s'en retrouve énormément facilitée. Ce qui est toutefois encore loin d'être le cas du Canada, qui continue d'être perçu de par le monde comme un gigantesque îlot de quiétude résistant tant bien que mal aux vagues de turbulences qui agitent les eaux instables du globe.
Rares sont en effet les Canadiens qui se sentent craintifs au point d'apporter des changements à leurs habitudes de vie, comme d'éviter les moyens de transports en commun de peur qu'ils soient la cibles d'attentats à la bombe, comme ce fut le cas à Madrid ou à Londres ces dernières années. Bien sûr, il existe cette guerre internationale contre le terrorisme à laquelle les autorités canadiennes sont parties prenantes depuis le début. Mais le théâtre des opérations de ce conflit à n'en plus finir est suffisamment éloigné du citoyen canadien moyen pour que celui-ci ne voit aucune raison de se sentir personnellement menacé à brève échéance.
Dans un tel contexte, les services secrets canadiens, nommément le Service Canadien de Renseignement et de Sécurité (SCRS), doivent nécessairement redoubler d'ardeur et mettre les bouchées doubles afin que le grand public canadien ne soit pas épargné non plus par cette crainte contagieuse de la menace terroriste. Bien que le SCRS prêche un peu moins dans le désert depuis les fameux attentats du 11 septembre 2001, il reste néanmoins encore beaucoup de chemin à parcourir avant que la paranoïa populaire atteigne un niveau satisfaisant aux yeux des services secrets canadiens.
Pour remédier à cette nonchalance typiquement canadienne, il va de soi que le grand public doit être informé aussi régulièrement possible de l'évolution de ce péril permanent que constitue la menace terroriste. Il incombe dès lors aux médias de masse de ne jamais rater une opportunité de rappeler à la population canadienne qu'elle n'est en rien immunisée contre ces bombes meurtrières qui ensanglantent régulièrement certaines régions du monde.
C'est dans le contexte de cette vaste mission de sensibilisation du grand public canadien que la collusion entre le SCRS et les médias prend toute son importance. Pour le SCRS et ses fidèles sympathisants, il est en effet crucial de ne ménager aucuns efforts afin de développer et de promouvoir une mentalité d'assiégée au sein de l'opinion publique. Une telle entreprise peut prendre plusieurs formes.
Il peut s'agir, par exemple, de persuader le plus grand nombre de gens que le prétendu manque de zèle sécuritaire canadien au niveau frontalier ou en matière d'immigration fait courir des risques intolérables à l'ensemble de la collectivité, étant donné que les terroristes fanatiques du monde entier ne manqueront certainement pas d'interpréter une telle négligence comme une invitation à s'infiltrer partout au Canada, par la grande ou par la petite porte, sans oublier la porte du côté.
Le SCRS peut également faire des pieds et des mains pour convaincre le grand public que certains individus ciblés représentent des menaces potentielles à la sécurité nationale, comme ces soi-disant «agents dormants d'al-Qaïda» qui constituent apparemment autant de menaces invisibles que seul l'oeil entraîné, et quasi-bionique, des super agents anti-terroristes est capables de percevoir.
Lorsqu'ils aspirent à faire passer leur message auprès du grand public, les maîtres-manipulateurs du SCRS disposent évidemment de plus d'un tour dans leur sac. Dépourvus de scrupules et ne reculant devant aucune entorse à l'éthique, les services secrets canadiens peuvent s'y prendre de mille et une façons pour manipuler l'opinion publique via les médias de masse.
D'abord, les représentants du SCRS peuvent lancer des déclarations-chocs, dont la véracité est souvent invérifiable, mais qui généreront à coup sûr des manchettes sensationnalistes. On peut citer ici à titre d'exemple les propos volontairement alarmistes qu'avait tenus Jack Hooper, le sous-directeur aux opérations du SCRS aujourd'hui à la retraite, lors d'une séance publique du Comité permanent de la sécurité nationale et de la défense du Sénat canadien, le 29 mai 2006.
Profitant de sa tribune pour se plaindre d'un manque de ressources, Hooper affirma que le SCRS n'avait examiné que 10 % des dossiers des 20 000 immigrants originaires de l'Afghanistan et du Pakistan qui sont arrivés au Canada lors des cinq dernières années. De tels propos laissent sous-entendre qu'un nombre inconnu de terroristes pourrait se cacher parmi ce groupe d'immigrants provenant de deux pays qui sont évidemment perçus comme étant à «hauts risques» aux yeux du SCRS. (1)
En réalité, le réputé «laxisme sécuritaire canadien» est beaucoup moins dramatique que n'a voulu le laisser croire ce haut responsable des services de renseignement. En effet, comme le précisera par la suite une porte-parole du SCRS, l'agence de renseignement procède à des vérifications de demandes d'immigration provenant d'outre-mer uniquement lorsqu'elle est sollicitée en ce sens par les agents d'immigration. Voilà qui explique pourquoi seulement une demande sur dix est examinée par le SCRS. Le soi-disant «manque de moyens» dont se plaignait Hooper n'y est donc pas pour grand chose ici.
Bien entendu, M. Hooper n'a pas cru bon de mentionner que le SCRS examine 100% des demandes lorsque les immigrants se présentent aux frontières canadiennes en vue d'obtenir un statut de réfugié. Sans tenir compte de ces importantes nuances, la plupart des médias de masse canadiens reprirent fidèlement les demi-vérités de Hooper, qui se retrouvèrent alors à la Une de plusieurs grands quotidiens, dont La Presse, The Vancouver Sun (2), The Ottawa Citizen (3), The Calgary Herald (4), The Windsor Star (5), The Guardian (6) (de la ville de Charlottetown, capitale de l'île du Prince Édouard).
Mais ce n'est pas tout. M. Hooper joua également au prophète de malheur en prétendant que «les éléments qui ont mené aux attentats de Londres», c'est-à-dire ceux du 7 juillet 2005 qui causèrent la mort de 52 personnes, étaient «présents ici en ce moment au Canada». Invité à offrir davantage de détails sur le phénomène terroriste canadien, M. Hooper a alors dressé le profil type des suspects: «La plupart sont très jeunes. Plusieurs sont nés ici. Plusieurs d'entre eux qui ne sont pas nés ici ont immigré à un très jeune âge avec leurs parents.»
Cinq jours plus tard, les forces policières réalisèrent l'un des plus importants coups de filet anti-terroriste de l'histoire canadienne dans la région de Toronto, en arrêtant dix-sept individus, dont cinq mineurs, qui seront accusés d'appartenance à une soi-disante cellule terroriste inspirée d'al-Qaïda. Il s'agit ici d'accusés qui sont, pour la plupart, très jeunes, dont plusieurs sont nés au Canada tandis que d'autres ont immigré en très bas âge avec leurs parents. Bref, le groupe appréhendé correspond en tout point avec la description que M. Hooper avait évoqué au Sénat !
Autrement dit, les propos de Hooper avaient quelque chose de prémonitoires, ce qui tombe plutôt bien étant donné que la mission principale du SCRS est justement de prévoir et d'anticiper les problèmes, contrairement aux policiers qui sont formés à réagir à des actes qui ont été posés. Avec des prédictions qui se réalisent sous nos yeux dans un délai aussi court, on se croirait en présence d'un véritable scénario arrangé avec «le gars des vues». Une sorte de «happy-ending story», où les espions du SCRS font figure de héros imbattables à la Jack Bauer.
Une question importante demeure toutefois en suspens: le Canada était-il sur le point de vivre un attentat sanglant comme celui de Londres, comme le sous-entendit Hooper? Bien que nous n'aurons vraisemblablement d'autre choix que d'attendre l'issue du procès que subiront les accusés dans cette affaire pour connaître la réponse, le doute devrait néanmoins être permis compte-tenu du fait que la soi-disante cellule torontoise était étroitement surveillée et même infiltrée depuis belle lurette, ce qui ne semble pas avoir été le cas à Londres. (7)
Cela étant, les déclarations de dirigeants du SCRS, aussi fracassantes soient-elles, sont généralement insuffisantes à exercer un impact durable sur l'opinion publique. Il faut aussi reconnaître que la Loi sur le SCRS limite excessivement la liberté de parole des membres des services secrets canadiens.
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Le SCRS et l'art de la manipulation médiatique
posted on April 15, 2008 | in Category CSIS | PermaLink
par Alexandre Popovic
Source: CMAQ
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Date: 1 septembre 2007
Le SCRS et l'art de la manipulation médiatique
(1er d'une série de 5)
Comment des informateurs du SCRS
se sont fait passés pour des leaders de
la communauté musulmane canadienne