Le Canada s’apprête à livrer un présumé terroriste aux autorités algériennes
Source: Yahoo! Groupes: Projets Algerie
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Date: 23 Juillet 2003
Mohamed Harkat a été arrêté le 10 décembre 2002 à Ottawa. Le Canada s’apprête à livrer un présumé terroriste aux autorités algériennes
Un réfugié algérien risque l’extradition pour suspicion de terrorisme ? Certificat de sécurité versus droits de l’homme ? Une décision de justice au cours de la semaine.
L’expulsion du Canada, où il bénéficie du statut de réfugié depuis 1997, et l’extradition vers l’Algérie, où il dit risquer ni plus ni moins que la mort, «persécuté par le gouvernement algérien» : le sort de Mohamed Harkat, un présumé terroriste algérien de 34 ans, livreur de pizza, arrêté le 10 décembre 2002 devant sa maison à Ottawa par des policiers en civil en vertu du désormais fameux certificat de sécurité, se joue cette semaine à Gatineau (20 km à l’ouest d’Ottawa) où une juge de la cour fédérale canadienne, Eleonor R. Dawson, entend les témoins de sa défense depuis mardi dernier. Le certificat de sécurité a été émis sous l’autorité du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, Denis Coderre, et du Solliciteur général du Canada (équivalent du ministre de l’Intérieur), Wayne Easter. Selon un court résumé produit par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), seul document publiable, Harkat serait un agent terroriste dormant, attendant des ordres pour perpétrer un attentat au Canada ou ailleurs, qui a été entraîné dans les camps d’El-Qaïda, en Afghanistan, «un extrémiste islamiste qui soutient les extrémistes afghans, pakistanais et tchétch&egrace;nes, qui a été et est encore un membre du réseau de Ben Laden et dont le rôle est prouvé par ses actes et ses intentions». Le service canadien croit que Harkat est «lié au groupe d’Abou Zoubeïda, un des principaux lieutenants d’Oussama Ben Laden au début des années 1990», actuellement aux mains des Américains.
Le 27 décembre 2002, le Washington Post annonçait que les «cellules en veilleuse» américaines et canadiennes d’El-Qaïda avaient communiqué ensemble durant le mois de décembre, «probablement pour planifier des attentats aux États-Unis». Le Post déclarait alors sur son site internet que la nouvelle lui avait été révélée par des spécialistes canadiens du renseignement qui auraient décidé d’arrêter Harkat apr&egrace;s qu’il eût prétendument fait des appels chez des membres d’El-Qaïda aux États-Unis.
Qui est Harkat ?
Arrivé au Canada en 1995, venant de Malaisie avec un faux passeport saoudien, Harkat bénéficiait, deux ans plus tard, du statut de réfugié : il a dit faire face à la persécution du gouvernement de l’Algérie s’il devait y retourner. Le SCRS pense que, «avant son arrivée au Canada, Harkat aurait été impliqué dans le terrorisme en soutenant une activité terroriste», ajoute le document. Mais ce qui fait office de véritable acte d’accusation est, selon des agences de presse, un document de 1 500 pages traitant du terrorisme de façon générale. Le certificat de sécurité permet à la juge Dawson de déterminer quelle information peut être divulguée à Mohamed Harkat sur son cas. De plus en plus décriée, la procédure tr&egrace;s spéciale dite du «certificat de sécurité» élimine tout processus judiciaire équitable : une personne peut être détenue indéfiniment sans libération conditionnelle, sans être accusée de crime et sans qu’on lui fournisse de preuves, elle peut ensuite être déportée sans droit d’appel ou aucun autre recours. Quarante jours plus tôt, le 12 juin, les avocats de Harkat ont présenté un plaidoyer devant la juge Eleanor Dawson demandant à la cour de procéder à une évaluation des risques pour déterminer si la vie de leur client était en danger s’il advenait qu’il serait extradé en Algérie. Une réponse positive aurait automatiquement permis aux avocats de surseoir au moins à la mesure et, ainsi, vider le certificat de sécurité de tout sens. «S’il ne peut être extradé, ce que dit le certificat ne tient plus», a dit l’un de ses avocats. Mais tel ne fut pas le cas : la juge décide, le 19 juin, que Harkat ne court aucun risque en Algérie.
Témoins gênant ou acteur... «gêné» ?
En aparté, en marge des audiences, un autre avocat de Harkat, Me Galati, a déclaré que le danger qui attend son client en Algérie est plus grand aujourd’hui qu’en 1997 quand le gouvernement canadien lui avait accordé le statut de réfugié. «À cause des allégations et de la détention, il peut y avoir des groupes en Algérie qui s’inqui&egrace;tent de ce que peut dire Harkat aux autorités canadiennes», ajoute Galati.
Mohamed Harkat, lui, nie toute implication avec quelque groupe dans quelque acte terroriste que ce soit. Son épouse, Sophie Lamarche, devenue Harkat depuis son mariage en janvier 2001, a dit que «si Mohamed était extradé, et je ne veux même pas y penser car il y trouverait la mort certaine, je le suivrais en Algérie car nous nous sommes mariés pour le meilleur et pour le pire. Mais, je suis Canadienne et mérite de demeurer au pays. Malgré l’enfer que je traverse, je vais le supporter jusqu’au bout». Elle assure qu’elle sera réunie à son mari de nouveau, peu importe l’issue de l’audience portant sur son extradition possible et au cours de laquelle elle a été entendue, pour la premi&egrace;re fois, durant deux longues heures. «Le déni des droits humains de Harkat est une attaque raciste du gouvernement canadien envers les communautés arabes», avait-elle déclaré à une précédente occasion.
(C. P.)
Déclarations
L’ Alliance de la fonction publique du Canada a déclaré que «le gouvernement du Canada commet un assaut coordonné sur les droits et les libertés des immigrants, des réfugiés et les personnes et communautés n’ayant pas de statut», ajoutant qu’«avec des nouveaux projets de loi et des modifications aux lois existantes», le Canada entrait «dans une nouvelle &egrace;re de répression et d’injustice». «Nous sommes tr&egrace;s préoccupés parce que les dispositions légales qui permettent la tenue de tels proc&egrace;s secrets ont été élargies et sont en voie de devenir la norme dans les mesures législatives adoptées dans la foulée du 11 septembre», affirme de son côté Gerry Barr, co-président de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles et PDG du Conseil canadien pour la coopération internationale. «Je n’ai jamais été questionnée depuis son arrestation et pourtant il n’y a personne qui le connaît mieux que moi. J’ai acc&egrace;s à son courrier, à ses factures et à son téléphone cellulaire. Je n’ai jamais eu le sentiment qu’il se déroulait quelque chose derri&egrace;re mon dos. J’ai toujours su où il était et je l’aime 100 fois plus qu’au début de cette affaire», a signalé Sophie Lamarche Harkat, avant de témoigner dans une salle d’audience sous haute surveillance de la GRC.
Qu’est-ce qu’un certificat de sécurité ?
Un certificat de sécurité est un outil anti-démocratique et secret qui sert à expulser des gens du Canada. Il prive des personnes vulnérables de leur droit à l’application normale de la loi et à sa protection. Il doit être autorisé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et par le Solliciteur général du Canada (équivalent de ministre de l’Intérieur). Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a été tr&egrace;s actif lors de la mise en place du certificat de sécurité en 1990. Le SCRS amasse les renseignements visant à désigner des personnes comme potentiellement dangereuses puis ces renseignements sont utilisés pour justifier l’autorisation d’un certificat de sécurité. Le certificat de sécurité peut-être utilisé contre les citoyens étrangers et les résidents permanents. Lorsqu’on s’en sert contre les citoyens étrangers au Canada ou qui tentent d’y immigrer, ces personnes sont aussitôt détenues. Le proc&egrace;s qui détermine si la personne représente une menace pour le pays se déroule sans la présence de la personne visée. On lui refuse de savoir pourquoi elle est détenue et de quoi elle est accusée. Même son avocat n’a pas le droit de le savoir, ce qui interdit à la personne le droit à une juste représentation devant le tribunal.
Pour en savoir plus:
Alliance de la fonction publique du Canada
http://www.psac.com/home-f.shtml
La Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles :
http://www.aqoci.qc.ca/actualite/algerien01.html
http://decisions.fct-cf.gc.ca/cf/2003/2003cfpi285.html
http://www.rocg.ca/appels/appel_vigileHarkat260403.htm
http://www.rocg.ca/appels/appel_conference260603.htm
http://www.cpcml.ca/francaisarticles/F030503.htm
http://www.ledevoir.com/2002/12/27/17197.html
Les Algériens du Canada
Depuis 1997, tous les Algériens vivant au Canada, quelle que soit leur situation administrative, étaient protégés contre la déportation par un moratoire sur les expulsions. Cependant, en avril 2001, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, Denis Coderre, a levé le moratoire en disant qu’il était sécuritaire pour les gens de retourner en Algérie. Le moratoire a été levé dans le cadre d’une stratégie économique pour encourager les investissements canadiens en Algérie qui coïncidait avec la présence du Premier ministre canadien, Jean Chrétien, à Alger à la veille de la réunion du G-8 à Kananaskis. Entre-temps, le minist&egrace;re canadien des Affaires étrang&egrace;res a émis un avertissement enjoignant les Canadiens à ne pas voyager en Algérie à cause de l’insécurité qui y r&egrace;gne toujours. Cet avertissement est toujours en vigueur...